
L’absence du désir pour l’esprit enchaîné
devient insupportable. Tellement habitué à servir le monstre, sans lui
il se sent inutile, nul, misérable. Toujours en mouvement, un arrêt pour
lui est semblable à la mort. L’esprit serviteur n’est pas conscient de
sa force; aux services des autres il a gaspillé toute son énergie pour
satisfaire ses propres désirs et ceux des autres. Pour pouvoir libérer
sa force il doit apprendre à maîtriser le monstre. Il est impossible de
se débarrasser des envies, ils surgissent de partout : du corps, du cœur
et de l’esprit même. L’homme mène une guerre intérieure
interminable où les envies et le bon sens s’affrontent, ne laissant sur
le champ de bataille que les frustrations et de la souffrance. Cette
guerre empêche l’homme de trouver la paix. Les envies, beaux et cruels,
attirent, promettent, séduisent. Seul esprit, libre de servitude, est
capable de voir leurs ruse, bassesse, traîtrise, capables de transformer
l’homme en créature la plus dangereuse et impitoyable sur terre. Il est
impossible d’empêcher les envies de naître, mais l’esprit à assez de
force pour se libérer de leur emprise, de les observer sans jamais
détourner le regard, les comprendre, les plaindre et ne se laisser pas
séduire.
Le jour où l’esprit arrive à atteindre cette liberté,
cette maîtrise de soi, ce nouveau regard, jamais voilé par le brouillard
des désirs, il ressent sa puissance qui jaillit avec tant de lumière et
de joie qu’il réalise, sans éprouver aucun doute, qu’il a enfin trouvé
ce qu’il cherchait depuis si longtemps: la vérité, la connaissance
universelle qui provient du fond de soi-même, de l’âme. Cette vérité,
qui depuis toujours faisait parti de sa nature, était emprisonné par
tant de choses: des envies, des tentations, des peurs, des règles, des
conventions. Elle ne dépend pas de quantité des livres dévorés, ni de
savoirs acquis. Cette vérité lumineuse, logée au fond de l'âme, éclaire
chaque coin, permet de voir claire en soi, comprendre ses propres
actions, envies et craintes et au même temps saisir les lois qui
dirigent le monde. L’esprit, enivré de liberté retrouvée, est capable de
monter très haut et comprendre le monde, peuplé des aveugles guidés pas
des autres aveugles dont les esprits serviteurs les mènent vers un
abîme. Il les plaint mais il sait qu’il est impuissant de les aider, car
il n’existe pas de règles, de conseils, de techniques ou des préceptes
qui pourraient les aider à ouvrir les yeux. La seule solution est de
s’arracher des autres et de soi-même, de ses propres connaissances, des
règles, des idées acquises qui encombre l’esprit, de se libérer du
pouvoir des envies, des remords du passé, des espoirs éphémères et de
s’arrêter, de mettre son âme à nu et de plonger dedans...
Vidé de
tout, le gouffre intérieur parait noir et effrayant. C’est un enfer,
mais c’est le seul chemin à prendre pour pouvoir un jour monter au
paradis, non celui de l'au-delà, mais au paradis terrestre, le seul
possible. Ce voyage infernal au fond de soi-même se transforme en
purgatoire qui purifie l’âme, libère l’esprit et prépare le terrain pour
semer la vérité, à l’instar d’une innocente feuille blanche prête à
recevoir une nouvelle histoire.
Parmi ceux qui à la recherche de
la connaissance il y a ceux qui, apeurés, retournent en arrière, en
préférant de se murer dans l’ignorance et des fausses idées, de fermer
les yeux et de rester aveugles, car le chemin initiatique leur parait
d’une difficulté insurmontable. Mais il y a ceux qui continuent, malgré
la peur et le désespoir, ils ne savent pas ce qui les attend, mais ils
ne veulent pas retourner en arrière, dans le passé où ils cherchaient
désespérément la lumière partout autour d’eux sans jamais la trouver.
Le seul endroit où ils n’ont pas encore cherché c’est à l’intérieure
d’eux-mêmes, dans ce monde inconnu, hostile et terrifiant. Ils
continuent leur voyage dantesque, s’engouffrent plus en plus dans le
noir intérieur et à un moment donné ils aperçoivent qu’il ne leur reste
plus d'envie, ni d'espoir, ni de regret, ni de la peur – il ne
reste plus rien, ils se sentent vidés de tout. C’est le purgatoire, il
est plus effrayant que l’enfer, car il est débarrassé des sentiments,
bons au mauvais, des souffrances, des cris, des doutes, des tentations.
Il ne reste que le vide, le silence insupportable et le noir
impénétrable. C’est le néant…
Et c’est là que la lumière jaillit,
tellement forte et belle qu’elle aveugle les yeux, habitués au noir.
Elle pénètre dans le cœur, éclaire l’esprit, transperce le corps et
l’âme, troublés par sa puissance et sa chaleur. En même temps l’amour
envahit tout l’être, l’amour pour soi, pour les autres, pour le monde
qui devient tout à coup transparent et compréhensible. Tout ce qui avant
était un tas de morceaux éparpillés: les décisions, les événements,
les rencontres, devient une unité harmonieux, remplie de sens. Comme si
le soleil est revenu dans la forêt, chassant le brouillard. D'un coté,
le monde était comme avant, ni plus beau ni plus laid, seulement les
yeux, éclairés par cette nouvelle lumière de vérité, voyaient désormais
les choses connus comme pour la première fois et chaque détail trouvait
sa place dans l’ensemble. Mais de l’autre coté, c’était le monde nouveau
qui reflétait son nouveau soi, libre des préjugés, des idées reçus ou
des critères établis. Une vérité universelle, nue, fragile mais à la
fois forte et puissante, qui illumine tout et détruit les ombres...