lundi 20 juillet 2015

Esprit

Le bonheur de l’homme est toujours conditionné. Il est toujours ailleurs : dans le travail, dans l'amour, dans la famille, dans les loisirs. L’homme ne peut pas être heureux ici et maintenant, il lui manque toujours quelque chose. Son esprit enchaîné suit aveuglement les sens, les instincts, les envies, il est à leur service. Une fois l’envie apparaît, l’esprit immédiatement commence chercher des solutions pour sa réalisation. Il est fidèle serviteur de son maître – le Désir, le monstre a plusieurs tètes : les sens, l’orgueil, le pouvoir, la possession. Il est tellement fort et tenace que une fois pris l’homme dans ses pattes, il ne le lâche plus. Manger plus en plus, se divertir à l’infini, consommer sans arrêt, se faire plaisir – est une suite interminable de tentations qui s’entremêlent, se nourrissent mutuellement et se transforment en un monstre cancéreux qui dévore non seulement l’esprit, son fidèle serviteur, mais aussi le corps qui devient plus en plus malade, épuisé, tellement saturé de tous les plaisirs qu’il ne les ressent plus. Tout autour de lui est désormais connu et ennuyeux que le pauvre esprit se jette à la recherche des nouveautés pour satisfaite le monstre: un nouvel amour, un nouveau voyage, des nouvelles sensations dans les sports extrêmes et des activités insolites. Il a même inventé un outil, l’internet, pour accélérer ses recherches et le laisser jamais le monstre s’ennuyer, si non, il risque de faire les dégâts, comme un enfant capricieux qui ne trouve pas d’occupation.
L’absence du désir pour l’esprit enchaîné devient insupportable. Tellement habitué à servir le monstre, sans lui il se sent inutile, nul, misérable. Toujours en mouvement, un arrêt pour lui est semblable à la mort. L’esprit serviteur n’est pas conscient de sa force; aux services des autres il a gaspillé toute son énergie pour satisfaire ses propres désirs et ceux des autres. Pour pouvoir libérer sa force il doit apprendre à maîtriser le monstre. Il est impossible de se débarrasser des envies, ils surgissent de partout : du corps, du cœur et de l’esprit même. L’homme mène une guerre intérieure interminable où les envies et le bon sens s’affrontent, ne laissant sur le champ de bataille que les frustrations et de la souffrance. Cette guerre empêche l’homme de trouver la paix. Les envies, beaux et cruels, attirent, promettent, séduisent. Seul esprit, libre de servitude, est capable de voir leurs ruse, bassesse, traîtrise, capables de transformer l’homme en créature la plus dangereuse et impitoyable sur terre. Il est impossible d’empêcher les envies de naître, mais l’esprit à assez de force pour se libérer de leur emprise, de les observer sans jamais détourner le regard, les comprendre, les plaindre et ne se laisser pas séduire.
Le jour où l’esprit arrive à atteindre cette liberté, cette maîtrise de soi, ce nouveau regard, jamais voilé par le brouillard des désirs, il ressent sa puissance qui jaillit avec tant de lumière et de joie qu’il réalise, sans éprouver aucun doute, qu’il a enfin trouvé ce qu’il cherchait depuis si longtemps: la vérité, la connaissance universelle qui provient du fond de soi-même, de l’âme. Cette vérité, qui depuis toujours faisait parti de sa nature, était emprisonné par tant de choses: des envies, des tentations, des peurs, des règles, des conventions. Elle ne dépend pas de quantité des livres dévorés, ni de savoirs acquis. Cette vérité lumineuse, logée au fond de l'âme, éclaire chaque coin, permet de voir claire en soi, comprendre ses propres actions, envies et craintes et au même temps saisir les lois qui dirigent le monde. L’esprit, enivré de liberté retrouvée, est capable de monter très haut et comprendre le monde, peuplé des aveugles guidés pas des autres aveugles dont les esprits serviteurs les mènent vers un abîme. Il les plaint mais il sait qu’il est impuissant de les aider, car il n’existe pas de règles, de conseils, de techniques ou des préceptes qui pourraient les aider à ouvrir les yeux. La seule solution est de s’arracher des autres et de soi-même, de ses propres connaissances, des règles, des idées acquises qui encombre l’esprit, de se libérer du pouvoir des envies, des remords du passé, des espoirs éphémères et de s’arrêter, de mettre son âme à nu et de plonger dedans...
Vidé de tout, le gouffre intérieur parait noir et effrayant. C’est un enfer, mais c’est le seul chemin à prendre pour pouvoir un jour monter au paradis, non celui de l'au-delà, mais au paradis terrestre, le seul possible. Ce voyage infernal au fond de soi-même se transforme en purgatoire qui purifie l’âme, libère l’esprit et prépare le terrain pour semer la vérité, à l’instar d’une innocente feuille blanche prête à recevoir une nouvelle histoire.
Parmi ceux qui à la recherche de la connaissance il y a ceux qui, apeurés, retournent en arrière, en préférant de se murer dans l’ignorance et des fausses idées, de fermer les yeux et de rester aveugles, car le chemin initiatique leur parait d’une difficulté insurmontable. Mais il y a ceux qui continuent, malgré la peur et le désespoir, ils ne savent pas ce qui les attend, mais ils ne veulent pas retourner en arrière, dans le passé où ils cherchaient désespérément la lumière partout autour d’eux sans jamais la trouver. Le seul endroit où ils n’ont pas encore cherché c’est à l’intérieure d’eux-mêmes, dans ce monde inconnu, hostile et terrifiant. Ils continuent leur voyage dantesque, s’engouffrent plus en plus dans le noir intérieur et à un moment donné ils aperçoivent qu’il ne leur reste plus d'envie, ni d'espoir, ni de regret, ni de la peur – il ne reste plus rien, ils se sentent vidés de tout. C’est le purgatoire, il est plus effrayant que l’enfer, car il est débarrassé des sentiments, bons au mauvais, des souffrances, des cris, des doutes, des tentations. Il ne reste que le vide, le silence insupportable et le noir impénétrable. C’est le néant…
Et c’est là que la lumière jaillit, tellement forte et belle qu’elle aveugle les yeux, habitués au noir. Elle pénètre dans le cœur, éclaire l’esprit, transperce le corps et l’âme, troublés par sa puissance et sa chaleur. En même temps l’amour envahit tout l’être, l’amour pour soi, pour les autres, pour le monde qui devient tout à coup transparent et compréhensible. Tout ce qui avant était un tas de morceaux éparpillés: les décisions, les événements, les rencontres, devient une unité harmonieux, remplie de sens. Comme si le soleil est revenu dans la forêt, chassant le brouillard. D'un coté, le monde était comme avant, ni plus beau ni plus laid, seulement les yeux, éclairés par cette nouvelle lumière de vérité, voyaient désormais les choses connus comme pour la première fois et chaque détail trouvait sa place dans l’ensemble. Mais de l’autre coté, c’était le monde nouveau qui reflétait son nouveau soi, libre des préjugés, des idées reçus ou des critères établis. Une vérité universelle, nue, fragile mais à la fois forte et puissante, qui illumine tout et détruit les ombres...